Ce week-end commençait bien, et puis on m'a partagé la vidéo de Leo sur le slogan "cis men are trash"
Pour résumer, Léo revient sur le slogan "cis men are trash", qui se veut plusse sympa que le sobre "men are trash" en prenant soin de ne pas viser les hommes trans par cette affirmation péremptoire. Sauf que pour lui, épargner les hommes trans revient à les discriminer, et relève d'un raisonnement transphobe.
Sans être en désaccord total, il y a plusieurs choses qui me grattent dans ce qu'il raconte, aussi j'avais envie de faire un petit retour blog-esque sur sa vidéo. Je vous encourage à la regarder d'abord, et de mon côté je vais citer les passages sur lesquels je veux rebondir, avec le timecode.
1:27 Juste une précision avant de commencer, on va parler de mon expérience. C'est à dire l'expérience d'un homme trans qui a un passing.
2:00 On va prendre une expérience que toutes les femmes connaissent et que j'ai moi même expérimenté de mes 10 à 30 ans. Le harcèlement de rue.
Le harcèlement de rue, je me rappelle de ce que ça fait et si je force bien, je peux me rappeler du sentiment d'inconfort et d'exaspération que je ressentais dans l'espace public. Vraiment, c'était très chiant quand je le vivais, c'était très très chiant. Mais, ce dont je me rappelle le mieux, c'est du sentiment de soulagement que j'ai ressenti quand les gens ont commencé à me voir comme un homme et que le harcèlement s'est arrêté net.
Là on est déjà en territoire inconnu pour moi. Petit disclaimer, le harcèlement de rue j'en ai peu connu. Je peux compter les occurrences, c'est dire.
Par contre, ça ne s'est pas arrêté. Y'a même une fois où je rentrais de mon rendez-vous avec ma médecin généraliste pour faire renouveler mon ordonnance de testo, et je me suis fait suivre jusqu'au RER par un mec qui voulait "juste discuter", demandait mon prénom, etc... Plutôt ironique pour le coup.
Donc non seulement, pour moi, le risque de harcèlement sexiste ne s'est pas vraiment arrêté, mais maintenant en plusse je crains de subir un harcèlement homophobe selon à qui je tiens la main dans la rue, et comment on est perçus par les mecs autour de nous. Mais c'est ptet pas le harcèlement de rue auquel il pense, certes.
3:01 Aujourd'hui, le harcèlement de rue, pour moi, c'est vague, c'est loin. C'est devenu un concept abstrait. Et je vais même être encore plus honnête que ça, aujourd'hui le harcèlement de rue, je serais tenté d'en dire que "c'est chiant, mais... ça vaaa, ça va."
Là ça commence à devenir bizarre pour moi, car comme dit j'en ai peu vécu, et ça arrive de moins en moins souvent, mais cependant ça reste très concret dans ma tête.
Et si on généralisait l'exemple "harcèlement de rue sexiste" à "toutes sortes de discrimination", ça ne me viendrait pas à l'esprit de dire "ça vaaa" à propos d'une discrimination que je ne vivrais pas, et dont je ne saurais rien. Du coup je ne comprends pas comment ce "glissement" dans sa perception du harcèlement de rue a pu avoir lieu, et je ne suis pas satisfait de son explication qui est "c'est parce que je n'y suis plus exposé", puisqu'elle ne me semblerait pas acceptable s'il essayait de dénigrer l'impact négatif de comportements racistes ou anti-sémites par exemple.
Je comprends que ce qu'il essaye de dire, c'est "les hommes ne comprennent pas le harcèlement de rue, parce qu'ils ne le vivent pas". Mais pour moi y'a pas besoin de comprendre pour condamner, par exemple.
3:30 Ma perception du harcèlement de rue, elle a changé. Et ce changement, il s'est fait avec la transition sociale. Maintenant, je suis un homme traité comme un homme. [...] Parce que ce changement de perception, il s'est fait avec mon changement de place sociale de femme à homme.
L'un des trucs qui me dérange, dans le féminisme matérialistes, c'est cette idée très tranchée (pour ne pas dire binaire) de ce qui constitue la "place sociale", ou le "groupe social" des hommes et des femmes. Et que la différence serait très marquée entre ces deux groupes. Alors que de mon expérience, certes très marginale, y'a une bonne zone grise au milieu. Celle où les gens savent pas trop comment te genrer, sont gênés, peuvent devenir hostiles. Mais OK, admettons qu'ici on ne parle pas des personnes non-binaires ou "en transition avec passing flou".
6:00 Je me suis adapté à ma nouvelle position sociale d'homme et j'y pense même plus. D'ailleurs, j'oublie même ce que ça fait d'être une femme.
C'est là qu'il met le point sur une grosse différence entre lui et moi : je ne me sens pas "adapté" à une position sociale d'homme, et je n'ai pas oublié ce que ça faisait d'être une femme.
7:25 Mais revenons aux hommes trans. Les hommes trans occupent une position sociale d'homme, donc inévitablement, ils voient le monde avec des yeux d'hommes.
Et depuis cette position, les femmes, baaaaaaaaaaaah... Elles cassent un peu les c...
Je ne suis pas d'accord sur le "inévitablement".
Quand j'entends des mecs au boulot commenter le corps des femmes autour d'eux, je suis très très conscient que si je changeais ma présentation de genre, ça pourrait être moi qui subirait ces commentaires. Je trouve difficile d'oublier d'où je viens.
J'ai aussi du mal à voir en quoi les femmes "casseraient les couilles" puisque leurs revendications me semblent légitimes (que ça soit contre les écarts de salaire, ou demander aux hommes de prendre part aux tâches ménagères).
Bref, pour l'instant je me sens mal à l'aise de me retrouver "dans le panier" des hommes, cis et trans, alors que ce que décrit Léo est très loin de mon vécu personnel. Je ne pense pas que mon expérience ait plusse de poids que la sienne, par contre ça me gêne qu'il veuille généraliser son expérience au mépris de la mienne.
8:00 Maintenant, je vais vous expliquer pourquoi est-ce que c'est bien important d'inclure les mecs trans dans les slogan “Men are trash”
Vraiment c'est une phrase qui m'a fait mourir de rire, je vous en propose une petite traduction :
"[...] pourquoi est-ce que c'est bien important d'inclure un groupe discriminé dans les slogans qui visent les discriminants"
Là je confirme que ça va être très compliqué de me convaincre. (Spoiler alerte, je ne suis toujours pas convaincu)
8:37 A la base, “men are trash” c'était pas fait pour insulter tous les hommes de connards premiers degré, ça avait un message. [...]
A la base “men are trash” c'était pour pointer du doigt notre structure sociale qui est patriarcale et qui fait des hommes, des ordures et ça inclut les mecs trans.
Donc si on dit “cis men are trash” c'est plus le patriarcat qu'on critique, ce sont les hommes cisgenres. Et on le fait en mettant les hommes transgenres dans la même catégorie que les femmes, la catégorie des gentils.
Je trouve ça super bizarre d'entendre "(cis) men are trash" et d'en conclure "women are awesome, actually". Oui, même s'il explique ensuite pourquoi.
Et je comprends qu'il fasse une différence entre :
Sauf que malgré tout, déjà à la base, on dit "men are trash" et pas "patriarcat is trash".
Donc s'il accepte que dans un cas, "men" désigne un système, pourquoi "cis men" ça ne désignerait plu ce système ?
Pour moi, si les hommes trans peuvent participer au maintien du système patriarcal, et à l'oppression de la classe social des femmes, la responsabilité en incombe quand même majoritairement aux hommes cis, donc ça ne me choque pas de les viser plus précisément par ce slogan.
10:31 Quand on dit “cis men are trash”, qu'est ce que ça nous dit des femmes ?
Quand tu dis que quelqu'un est nul, c'est nécessairement en comparaison avec une autre personne qui serait meilleure.
C'est comme ça qu'on construit une hiérarchie sociale.
Pour les groupes d'individus, c'est pareil quand on dit premier degré que tous les hommes sont des connards qui dominent et agressent parce que ce sont des hommes.
On dit en sous texte que toutes les femmes sont des êtres de lumière, doux et gentils, qui veulent la paix pour le monde entier parce que ce sont des femmes.
Pour résumer, et si j'ai bien compris, si on critique des individus et non un système, cette critique porte en elle les louanges idéalisées des individus "opposés" et c'est une mauvaise idée car elle est essentialisante pour les parties concernées.
Bah du coup ça me semble difficile de critiquer qui que ce soit.
Enfin je pense que son propos c'est de dire qu'il ne faut pas critiquer les individus mais les systèmes, et là dessus je suis plutôt d'accord, mais je pense qu'on peut aussi un peu critiquer les individus qui portent le système... qu'ils se sentent concernés, quoi...
16:54 Faut aussi comprendre que, à partir du moment où vous êtes transphobes avec les hommes trans, vous l’êtes aussi par ricochet avec les femmes trans. Parce que si vous considérez que les hommes trans malgré leur transition gardent une perception du monde "de femme". Et restent "gentils". Bah vous allez considérer que c’est pareil pour les femmes trans. Que malgré leur transition, elles gardent une perception du monde "d’homme" et restent des ordures.
Je vais rebondir un peu là dessus, parce que ça fait écho à une source de tension semi-récurrente dans mes milieux.
"Est-ce que c'est OK de mettre d'un côté les hommes cis, et de l'autre tout le reste (soit les femmes cis & trans, personnes non binaires, et hommes trans) ?"
Question qui est notamment posée au moment de choisir avec qui on pourrait nouer des relations amoureuses. Question que j'ai vu posée sur Mastodon, et où je me suis trouvé en désaccord avec un autre répondant, qui considérait comme Léo qu'établir une différence entre hommes cis et trans était transphobe.
Ma position, c'est que comme d'hab, ça dépend pour quoi : faire deux équipes de foot d'hommes, une équipe cis et une trans, me semblerait effectivement discriminatoire et transphobe.
Mais quand il s'agit de définir sa "dating pool"*, avec comme objectif de nouer une relation amoureuse derrière, pour moi ça se défend de mettre les hommes cis d'un côté, et les hommes trans avec littéralement le reste de la dating pool, car ainsi toute cette dating pool aura une chose en commun : l'expérience du sexisme. Cette expérience peut être passée ou actuelle, je m'en fous, juste je comprends que quand on cherche à faire des rencontres amoureuses, surtout si on est bi/pan, on en arrive à se dire "'n'importe qui tant que je n'ai pas besoin d'avoir à expliquer le sexisme".
Et si malgré tout on tombe sur un mec trans sexiste ? C'est pas grave, on peut le jeter.
* Y'a pas de traduction littérale, moi je dirais que c'est un "périmètre de baisabilité". On parle de "dating pool" pour désigner les personnes anonymes qui correspondent à nos critères pour sortir avec quelqu'un. Par exemple, y'a cette idée fausse que les personnes bi ont un "dating pool" deux fois plus élevé que celui des hétéros puisqu'elles pourraient sortir avec un homme OU une femme.
Sauf que le problème... Des femmes turbo misogynes, ben il y en a beaucoup.
Je comprends ce qu'il veut dire par là, quand il signale que plein de femmes sont misogynes, et qu'il revendique le droit des femmes à être des connasses !
J'ai effectivement pu voir, chez des potesses, se développer l'idée très manichéenne que "tous les hommes sont des salauds, alors que les femmes...", l'idée d'une "pureté féminine" qui les rendrait incapables de comportement toxiques.
Par exemple, quand on parle de violences conjugales, je vois parfois passer des appels au "lesbianisme politique" comme solution à ça. Le lesbianisme politique, c'est le fait pour les femmes de choisir de ne plu sortir avec des hommes. Donc potentiellement de ne sortir qu'avec des femmes (indépendamment de leur orientation sexuelle), ou d'organiser entre femmes des alternatives à la famille nucléaire hétéro-parentale.
Pour moi, c'est une position qui se défend, parce que les hommes sont encouragés par la société à profiter du labeur des femmes (en leur refilant les tâches ménagères, en leur faisant porter et élever les enfants, en les payant moins au boulot et en leur refusant des promotions parce qu'elles sont susceptibles de porter et élever des enfants, en les faisant "aider" (= bosser) pour leur auto-entreprise sans les rémunérer...), et les femmes sont peu défendues lors de violences conjugales ou domination économique.
Cependant, non, contrairement à ce que j'ai pu lire, je ne pense pas qu'être un couple lesbien assure une protection garantie contre les violences au sein du couple. En ça, je rejoins Léo sur son point de vue, qui est que les femmes peuvent être tout autant des connasses que des hommes, même sans l'appui de toute une société derrière.
Cette section se retrouve dans "je suis d'accord" parce que... c'est le cas, mais je dois dire que la façon dont c'est amené m'irrite.
15:33 La question que tout le monde se pose maintenant, c'est de savoir comment est ce que nous, les hommes trans, on fait pour ne pas devenir problématiques alors que tout notre monde social nous y encourage. [...]
Bah, on fait comme les hommes cis, on utilise notre agentivité. C'est à dire qu'on décide d'être acteurs de notre existence et pas seulement passifs vis à vis de notre position sociale et de ce qu'elle implique.
Pour le dire plus simplement,on choisit de faire ce qu'il faut pour être des personnes décentes.(...)
16:36 Depuis une autre position sociale que la mienne, depuis la position sociale de femme, le harcèlement de rue, c'est un enfer et il n'y a pas moyen de faire quoi que ce soit pour l'arrêter.
Et comme moi, du haut de ma position d'homme, j'ai tendance à l'oublier très vite, mais que je ne veux pas me faire cancel... Bah je fais des efforts pour m'en rappeler chaque fois que j'ai des pensées misogynes.
Là c'est le moment où j'ai compris que tous les passages où Léo se filme sur son canapé, à jouer à Elden Ring, et dire que les femmes "cassent un peu les couilles", c'est un personnage qu'il incarne pour se mettre au niveau des hommes cis et leur dire "Je suis comme vous ! J'ai les mêmes pensées que vous, et je vous montre comment ne pas être un connard !"
C'est un discours utile mais j'ai quand même l'impression que les personnes transmascs se font jeter sous le bus au passage. Parce que ça a toujours été important pour moi de revendiquer mon attachement aux luttes féministes, donc ça me vexe de voir quelqu'un avec un parcours vaguement similaire au mien, "confier" que s'il fait pas gaffe il devient misogyne tellement l'oppression sexiste c'est loin pour lui.
17:34 Vous savez je crois que ce qui m'énerve le plus avec ce slogan “cis men are trash” c'est qu'il sous entend que si je suis un homme correct, c'est parce que je suis trans. Or, je suis désolé, mais si je suis un homme correct, c'est parce que je fais comme tout le monde. J'y travaille et j'aimerais bien que ce travail soit reconnu à sa juste valeur. Ça ne veut pas dire que je veux des cookies, non merci, mais juste qu'on arrête de me ramener à ma transidentité dès que j'ai un comportement décent. La transidentité, ce n'est pas un totem moral. Et les trans sont comme les autres, avec autant de qualités et autant de défauts.
Ca m'attriste de comprendre de quoi il parle, mais pour avoir déjà lu quelqu'un asséner "transitionne ou ferme ta gueule !" (le sujet n'était même "pour être légitime à parler de transidentité"), oui, j'aimerais que certaines personnes trans fassent leur auto-critique et ne considèrent pas leur transidentité comme un totem d'immunité morale.